Par Me Jérémy AUTHIER
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Transmettre son entreprise à ses enfants ou à ses héritiers est un moment clé dans la vie d’un chef d’entreprise. Au-delà des aspects humains et organisationnels, la fiscalité de la transmission d’entreprise constitue souvent un frein. Le Pacte Dutreil est un dispositif prévu par le Code général des impôts (articles 787 B et 787 C), conçu pour réduire jusqu’à 75 % les droits de mutation lors d’une donation ou d’une succession d’entreprise familiale.
Concrètement, seules 25 % de la valeur de l’entreprise ou des titres transmis sont taxés, l’État exonérant les 75 % restants. Cet avantage fiscal, strictement encadré, s’adresse aux entreprises exerçant une activité opérationnelle et respectant des engagements de conservation et de direction sur plusieurs années.
🏭 Qu’est-ce que le Pacte Dutreil ?
Le Pacte Dutreil transmission permet d’alléger fortement les droits de succession ou de donation lors du transfert d’une entreprise familiale. Il s’applique :
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aux titres de sociétés (article 787 B du CGI) ;
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aux entreprises individuelles (article 787 C du CGI).
L’objectif est clair : favoriser la continuité des entreprises familiales, en évitant que les héritiers ne soient contraints de vendre l’entreprise pour payer l’impôt.
✅ Conditions d’éligibilité principales
Pour bénéficier du régime Dutreil, plusieurs conditions doivent impérativement être respectées :
🔹 Activité éligible
L’entreprise doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (ICAAL).
Les sociétés patrimoniales ou exerçant une activité de simple gestion immobilière (location passive) sont exclues.
💡 Exemple : une société de fabrication de meubles ou un atelier de réparation artisanale peuvent être éligibles, contrairement à une SCI de gestion locative.
Depuis la loi de finances 2024, la notion de holding animatrice est mieux encadrée : elle doit participer activement à la stratégie du groupe et rendre des services à ses filiales pour être éligible.
🔹 Engagement collectif de conservation
Avant la transmission (donation ou succession), les signataires doivent souscrire un engagement collectif de conservation des titres pour une durée minimale de 2 ans. Cet engagement doit, pour une société non cotée, porter sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote. Pour une société cotée, les seuils sont de 10 %/20 %.
💡 Exemple : Monsieur X détient 40 % des actions et 45 % des droits de vote d’une SARL active. Avec deux autres associés, ils signent un engagement collectif couvrant ensemble 20 % des droits financiers et 35 % des droits de vote. Après 2 ans, la donation aura lieu.
🔹 Engagement individuel de conservation
Après la transmission, chaque héritier ou donataire doit prendre un engagement individuel de conserver les titres reçus pendant 4 ans. Cet engagement figure dans l’acte ou dans la déclaration de succession/donation.
🔹 Fonction de direction ou activité principale
L’un des signataires de l’engagement collectif ou l’un des bénéficiaires doit exercer, pendant l’engagement collectif puis pendant 3 ans après la transmission, une fonction de direction (pour une société soumise à l’impôt sur les sociétés) ou y exercer son activité professionnelle principale (dans le cas d’une entreprise individuelle ou société soumise à l’IR).
Exemple : la société est une SAS soumise à l’IS. Le fils héritier devient président ou directeur général dès la transmission, et s’engage à tenir cette fonction pendant 3 ans.
🛠️ Étapes concrètes de mise en œuvre
Voici un guide plus succinct des étapes à suivre pour mettre en œuvre un Pacte Dutreil.
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Diagnostic préliminaire : avant tout engagement, vérifiez : l’activité de la société (est-ce réellement opérationnel ?), la détention actuelle des titres (les seuils sont-ils atteignables ?), la gouvernance future (qui prendra la direction ?). Si une holding est présente, vérifiez qu’elle soit animatrice et non passive.
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Signature de l’engagement collectif : deux ans avant la transmission ou au minimum avant celle-ci : rédaction et signature de l’engagement collectif couvrant les pourcentages requis. Attention à bien formaliser et archiver l’acte.
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Transmission (donation ou succession) : réalisation de l’acte de donation ou ouverture de la succession. L’engagement individuel est pris à ce moment et la fonction de direction est mise en place.
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Engagement individuel : chaque bénéficiaire signe l’engagement individuel de conservation de 4 ans consécutifs.
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Déclarations fiscales : dans la déclaration de succession ou dans l’acte de donation, mentionnez explicitement les engagements, joignez les attestations et remplissez les formulaires requis.
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Suivi post-transmission : pendant les 3 + 4 années suivantes, vérifiez que tous les engagements sont respectés : conservation des titres, fonction de direction exercée, activité opérationnelle maintenue. En cas de manquement, l’avantage peut être remis en cause.
💡Pourquoi recourir au Pacte Dutreil ?
Le dispositif constitue un levier puissant pour réduire le coût fiscal d’une transmission d’entreprise. Sans lui, la totalité de la valeur des titres peut être intégrée dans l’assiette de droits de mutation, ce qui peut donner lieu à une charge très lourde pour les héritiers ou donataires. Grâce au scénario « seule 25 % de la valeur taxable », on limite le montant des droits à payer, ce qui contribue à assurer la pérennité de l’entreprise familiale sans avoir à la céder pour payer l’impôt.
En outre, la mise en place de ce dispositif incite à structurer la gouvernance, à anticiper la succession et à maintenir l’activité, ce qui favorise une transition plus sereine pour l’entreprise.
⚠️ Points de vigilance
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Si l’engagement est rompu (par exemple la cession des titres avant la fin du délai), l’administration peut remettre en cause l’exonération et réclamer les droits dus + intérêts.
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Une holding passive ne permet pas de bénéficier du régime. Il faut que la holding soit animatrice.
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L’entreprise doit réellement exercer une activité opérationnelle. Une activité immobilière dominante ou de simple gestion de patrimoine est exclue.
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L’administration contrôle de plus en plus : les seuils, la conservation, la fonction de direction et l’activité doivent être formalisés et documentés.
Quelques pièges récents : une activité non réellement opérationnelle, une holding qualifiée de passive, le non-respect de la durée d’engagement, ou encore une transmission trop tardive sans préparation. La doctrine fiscale s’est montrée particulièrement rigoureuse sur ces points.
🏢 Exemple : transmission d’une entreprise familiale par donation avec le Pacte Dutreil
🎯 Situation de départ
Monsieur Jean MARTIN, 62 ans, dirige depuis 25 ans la société MENUISERIE MARTIN SARL, spécialisée dans la fabrication artisanale de mobilier sur mesure.
La société exerce une activité industrielle et artisanale, parfaitement éligible au dispositif Dutreil (activité opérationnelle au sens de l’article 787 B du Code général des impôts).
Les données principales sont les suivantes :
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Forme juridique : SARL soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).
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Capital social : 200 000 €, détenu à 100 % par M. MARTIN.
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Valeur estimée de la société (selon expertise comptable) : 1 000 000 €.
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M. MARTIN souhaite transmettre 80 % des parts à ses deux enfants, Claire et Paul, en effectuant une donation-partage.
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Il conservera 20 % pour garder un rôle de conseil et maintenir le lien avec l’entreprise.
⚙️ Étape 1 : Signature de l’engagement collectif de conservation
Avant toute transmission, M. MARTIN signe, en tant qu’associé unique, un engagement collectif de conservation (ECC) sur 100 % des parts sociales de la société, conformément à l’article 787 B CGI : « Les parts ou actions transmises sont exonérées à concurrence de 75 % de leur valeur, si au jour de la transmission, elles font l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans ».
Dans notre cas, même s’il est seul associé, l’administration admet la conclusion d’un engagement collectif unipersonnel couvrant le seuil minimum de 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote.
Cet engagement porte sur 100 % des titres, pour une durée de 2 ans.
🧾 Étape 2 : réalisation de la donation
Deux ans plus tard, M. MARTIN réalise une donation-partage de 80 % des parts :
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Claire reçoit 40 % du capital,
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Paul reçoit également 40 %,
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le père conserve les 20 % restants.
Dans l’acte notarié, chacun des deux enfants prend un engagement individuel de conservation (EI) des parts reçues pour une durée de 4 ans à compter de la fin de l’engagement collectif.
Claire, déjà impliquée dans l’entreprise, est désignée gérante pour exercer la fonction de direction pendant au moins 3 ans à compter de la transmission.
👉 Les conditions des articles 787 B et 787 C CGI sont donc réunies :
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Activité éligible : ✅ (activité artisanale).
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Engagement collectif 2 ans : ✅.
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Engagement individuel 4 ans : ✅.
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Fonction de direction 3 ans : ✅.
👉 Conséquence : l’entreprise entre dans le champ du Pacte Dutreil et prépare la future donation.
💰 Étape 3 : calcul fiscal comparatif
Sans le Pacte Dutreil
Valeur totale transmise : 800 000 € (80 % de 1 000 000 €).
Droits de donation : en ligne directe, après abattement de 100 000 € par enfant (article 779 CGI).
- Valeur reçue (par enfant) : 400.000 €
- Abattement légal : – 100.000 €
- Base taxable : 300.000 €
- Droits selon barème progressif (≈ 45 %) : 135.000 €
👉 Total pour les deux enfants : 270 000 € de droits à payer.
Avec le Pacte Dutreil (exonération 75 %)
Application de l’exonération prévue à l’article 787 B CGI.
- Valeur reçue (par enfant) : 400.000 €
- Exonération (75 %) : – 300.000 €
- Valeur taxable : 100.000 €
- Abattement légal (100.000 €) : – 100.000 €
- Base taxable : 0 €
- Droits de donations dus : 0 €
👉 Résultat : aucune taxation immédiate.
Le gain fiscal est considérable : 270 000 € d’économies sur la transmission.
📑 Étape 4 : obligations déclaratives et suivi
Une fois la donation réalisée, plusieurs formalités doivent être respectées :
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Mention expresse du Pacte Dutreil dans l’acte de donation (référence à l’article 787 B CGI).
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Déclaration jointe à l’acte ou à la déclaration de succession, précisant :
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les titres concernés,
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la date et durée des engagements,
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l’identité du dirigeant désigné.
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Attestation annuelle sur demande de l’administration, confirmant la conservation des titres, la continuité de l’activité et l’exercice de la fonction de direction.
📅 Étape 5 : suivi dans le temps
Pendant toute la durée des engagements (2 ans d’engagement collectif + 4 ans d’engagement individuel + 3 ans de direction), la famille MARTIN doit :
- maintenir l’activité artisanale,
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ne pas céder les parts,
-
conserver la direction de l’entreprise.
En cas de rupture d’un engagement (cession prématurée, abandon de la gérance, cessation d’activité), l’exonération est reprise rétroactivement : les droits économisés devront être payés, majorés des intérêts de retard.
🧠 Exemple de difficulté pratique
Si, au bout de deux ans, Claire souhaite vendre 10 % de ses parts à un tiers pour financer un projet personnel, la condition de conservation serait rompue.
L’administration fiscale pourrait alors remettre en cause l’exonération pour toute la transmission, sauf si une clause spécifique de substitution est prévue ou si la cession est couverte par une exception (fusion, échange, etc., sous conditions très encadrées par la doctrine BOFiP).
🧩 Conclusion
Le Pacte Dutreil s’affirme comme un outil majeur pour les chefs d’entreprise désireux de transmettre leur activité dans un cadre fiscal favorable. Il requiert néanmoins une anticipation, un montage rigoureux, une gouvernance adaptée et un suivi attentif après la transmission. Dès lors que les conditions sont respectées, il permet de réduire considérablement la charge fiscale tout en favorisant la continuité de l’entreprise.
👉 Pour cette raison, il est vivement conseillé de s’entourer d’un notaire dès les premières réflexions afin de sécuriser l’opération.
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Par Me Jérémy AUTHIER
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